Tomber en bas de son fauteuil (roulant)
18 octobre 2023En lisant la chronique « train de vie » du 15 octobre, j’ai découvert la triste histoire de Bruno* qui a subi une rupture d’anévrisme il y a cinq ans et qui ne peut plus travailler depuis. Bruno s’inquiétait de l’éventuel appauvrissement qu’il subirait à la retraite.
Et il a raison de l’être.
En ce moment, Bruno reçoit une somme non imposable d’assurance invalidité de 3400 $ et des prestations pour invalidité du Régime de rentes du Québec de 1470 $ par mois. À sa retraite (65 ans), le Régime de rentes du Québec diminuera cette somme à 842 $ et l’assurance invalidité longue durée cessera. À moins de piger dans son bas de laine, Bruno devra donc réduire considérablement son train de vie.
Un spécialiste des finances personnelles de la Banque Laurentienne qui était interviewé pour l’occasion conseillait notamment à Bruno de déménager dans un appartement plus petit, dans une autre ville, voire d’envisager la cohabitation afin d’économiser en vue d’une retraite modeste.
Vous conviendrez avec moi que se retrouver dans une ville qu’on ne connait pas et vivre avec un étranger n’est pas le scénario idéal, surtout quand on est amoindri par la maladie.
Mais c’est l’affirmation suivante de la part de l’employé de l’institution bancaire qui m’a (presque) fait tomber en bas de mon fauteuil roulant : « […] s’il fallait assurer l’invalidité de tous les Québécois jusqu’à l’âge de 90 ans […] ce serait impossible de financer un tel régime ! »
J’hésite entre interpréter ce commentaire comme une maladresse ou carrément un manque d’empathie à l’égard des dizaines de milliers de personnes invalides à la retraite, ou sur le point de l’être, au Québec.
Cela dit, les personnes invalides de 65 ans et plus subissent une réduction substantielle de leur rente gouvernementale dès qu’elles atteignent la retraite. Ce sera mon cas dans quelques mois; je verrai mes revenus diminuer de 24 % parce que le gouvernement semble croire que je ne suis soudainement plus invalide à 65 printemps. Comme par magie, je pourrai me débarrasser de mon fauteuil roulant, retourner sur le marché du travail, arrondir mes fins de mois en travaillant dans un commerce de détail qui me paiera à peine plus que le salaire minimum et vivre une longue retraite dorée.
Bref, selon le gouvernement, tout rentre dans l’ordre à la retraite pour les personnes en situation d’invalidité.
Sans tomber dans le misérabilisme, je peux vous assurer que ce n’est pas le cas, et j’en sais quelque chose. Trop souvent, les gens en situation de handicap doivent faire des choix entre la nourriture, le confort, les médicaments et les loisirs en plus de se débattre avec leur état ou leur handicap.
Pourtant, on oublie trop souvent qu’un grand nombre d’entre nous avons contribué à la société québécoise en payant taxes, impôts et en construisant notre société à notre manière pendant des décennies. Alors, pourquoi nous punir à la retraite parce que nous ne pouvons plus contribuer financièrement à l’enrichissement collectif?
Cette situation inéquitable est causée par deux articles de la loi de la RRQ qui ont été contestés avec succès par l’organisme que je dirige et par l’ensemble du milieu associatif devant le Tribunal administratif du Québec. Mais malheureusement, le gouvernement Legault a choisi de porter la cause en appel. Ce faisant, on continue à pénaliser des dizaines de milliers de personnes en situation de handicap (et leurs familles), incluant Bruno.
D’ailleurs, c’est Louise Harel elle-même, l’instigatrice de ces mesures en 1997, qui dénonce aujourd’hui cette discrimination. « Sincèrement, celle-là je l’ai vraiment manquée, » dira-t-elle en entrevue au site internet d’actualité En retrait.
En fait, la question que nous devons nous poser collectivement est la suivante : est-il moralement acceptable de punir les personnes les plus vulnérables de la société parce qu’elles ne pouvaient pas travailler à cause d’une invalidité?
Et vous, lecteurs et lectrices, qu’en pensez-vous?
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