Est-on vraiment fichu quand on a une limitation?

21 septembre 2015

Suite à un commentaire d’un organisme membre, la COPHAN se questionne aujourd’hui sur la campagne de sensibilisation aux accidents du travail produite par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) qu’on peut voir à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=XrgB0v3WWUQ. On y voit 3 cas mettant en scène des personnes apparemment accablées par leur situation de handicap : un homme à qui il manque un bras est questionné par un enfant dans une piscine publique, une jeune femme chez la coiffeuse cherche à cacher autant que possible son visage à moitié brûlé et un père tétraplégique ne peut prendre sa petite fille apeurée dans ses bras.

Toutes ces scènes respirent la tristesse mais la dernière d’entre elles est particulièrement désolante. En effet, elle contribue à véhiculer l’idée qu’une personne immobilisée suite à un accident n’est plus bonne à rien comme parent. Elle occulte le fait que les personnes ayant des limitations développent toutes, quotidiennement, de brillantes stratégies pour contourner les incapacités, résoudre les problèmes et pallier le handicap. L’être humain est naturellement résilient et l’annonce de la CSST, qui donne selon nous une image misérable et effrayante du handicap, semble l’ignorer.

Nous observons que, dans les médias, les personnes ayant des limitations sont généralement présentées selon deux prototypes : victimes ou héros. Elles ne suscitent que deux types d’émotions : la pitié ou l’admiration. Pourtant, nous en connaissons des centaines, des milliers qui ne sont ni des petites choses démunies destinées à un malheur éternel, ni des champions accomplissant des miracles que quiconque doté de ses deux bras, ses deux jambes, ses deux yeux ou ses deux oreilles ne saurait réaliser. Ce sont juste des personnes, qui comme tout le monde, composent avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs succès et leurs échecs, leurs jours de gloire et leurs moments de découragement.

Depuis 30 ans, la COPHAN travaille à augmenter la participation sociale des personnes en situation de handicap et à les faire reconnaître comme des citoyens à part entière. On peut alors déplorer que la CSST, optant sans nuance pour la victimisation, ne nous soutienne pas dans cette démarche.

Il ne s’agit pas pour nous de nier le caractère tragique des accidents du travail, de minimiser la détresse des personnes qui les subissent, bref de peindre la réalité des personnes accidentées en rose pastel. Mais il nous semble important de rappeler que, contrairement à l’image que l’annonce publicitaire risque de renvoyer, il y a une vie après un accident. L’homme qui a perdu son bras peut encore s’amuser dans une piscine, la jeune fille au visage abîmé peut encore plaire et être aimée et le papa va certainement trouver le moyen de rassurer son enfant sans la prendre dans ses bras. Et ces personnes y parviendront encore mieux lorsque la société aura cessé de leur envoyer une image dévalorisée d’elles-mêmes.

Dans le contexte actuel d’abondance informationnelle, les annonces doivent frapper fort pour être entendues. Les campagnes de prévention doivent marquer l’auditeur et lui permettre de s’identifier négativement à la personne touchée. L’époque exige de solides exemples repoussoirs. Soit. Nous comprenons donc l’effet d’impact que la CSST a recherché pour, en bout de ligne, réduire les accidents en milieu de travail. Toutefois, nous souhaitons ici ajouter notre voix au discours ambiant en rappelant, une fois de plus, qu’une personne avec des limitations, suite à un accident ou non, ne se réduit pas à ses limitations. Ce n’est pas une image, c’est une personne. Point.