Pauvre ou célibataire, que choisir?

3 mars 2016

Avis aux lecteurs sentimentaux, on va parler ici de chiffres, d’argent et de pourcentages.

Avis aussi aux cœurs de pierre qui ne se laissent pas envahir par les émotions, cette chronique risque de contenir des traces d’amour et de sentiments.

La semaine dernière, nous vous parlions de Gabriel qui avait dû s’habituer à toutes sortes de nouvelles choses suite à un incident survenu il y a douze ans. Eh bien, il manquait un élément au portrait de Gabriel : la couleur de son portefeuille. Un vieux portefeuille tout plat, bien moins rose et doré que celui qu’il avait lorsqu’il parcourait le monde sur ses deux jambes et qu’il embrassait la vie avec ses deux bras.

À l’époque, il travaillait dans une agence de comm’ et l’argent n’était pas un souci. Il s’en rend compte maintenant. Du jour au lendemain en 2004, il a dû renoncer à s’extirper de son lit sans aide, à se faire un café seul et à se raser par lui-même à chaque matin, à prendre le métro, à grimper les étages menant à son bureau, à aller visiter des clients et à mettre des tapes dans le dos de ses collaborateurs. Il a du même coup dû renoncer à son revenu annuel proche du 6 chiffres. Et une fois ses maigres économies de jeune professionnel insouciant dépensées, il a dû apprendre à vivre avec une prestation de solidarité sociale (PSS) qui correspond grosso modo à 12,14% de son salaire d’avant. Oui, oui, 12,14%.

Gabriel a aussi découvert qu’avoir une limitation, ça coûte cher. Certes, il y a des programmes pour couvrir certaines dépenses d’adaptation ou de santé, mais personne ne lui avait dit que, un peu comme les toutes petites notes que personne ne lit au bas des contrats, il y aurait des frais cachés. Par exemple, le loyer plus cher pour être proche d’un dépanneur et d’une pharmacie, les travaux de couture pour adapter ses vêtements, le déplacement de la coiffeuse qui vient lui couper les cheveux à domicile, le tip hebdomadaire au livreur d’épicerie, etc. Rien de bien sérieux mais ça, plus ça, plus ça…

Pour couvrir tous ces coûts supplémentaires, il y a le crédit d’impôt pour personne handicapée. Techniquement, Gabriel y a droit. Seulement, dans la pratique, en additionnant le fédéral et le provincial, ça lui donne la somme astronomique de… 0 $. Oui, oui, 0 $. En effet, aux deux paliers de gouvernement, il s’agit d’un crédit non remboursable, ce qui signifie que si tu ne gagnes pas assez d’argent pour payer des impôts, ça te fait une belle jambe de réduire ton revenu imposable. Tout handicapé que tu sois, l’État ne va pas te faire un chèque.

Récemment, Gabriel s’est vu offrir une petite job par une ancienne collègue. Un boulot à temps partiel, dans ses cordes et réalisable de la maison. Gabriel en aurait sauté de joie, si son fauteuil roulant avait été équipé de ressorts. Mais voilà, quand tu perçois le PSS, tu as le droit d’augmenter tes revenus d’un maximum de 100 $ par mois. Oui, oui, 100 $. Si tu dépasses, on te coupe ta prestation. Comme la job qu’on lui proposait était de 5 heures par semaine, Gabriel a préféré laisser faire.

Mais le gros dilemme financier de Gabriel en ce moment porte le doux prénom d’Alice. Alice, c’est la joie personnifiée, la bonté incarnée et sa blonde depuis l’année dernière. Ils s’aiment bien gros ces deux tourtereaux et ils seraient rendus à l’étape « Partageons notre nid douillet », mais c’est compliqué. En effet, Alice ne fait pas un gros salaire mais il est bien assez gros pour le gouvernement lorsqu’il s’agit de calculer la PSS de Gabriel. S’ils habitaient ensemble, Gabriel serait donc doublement dépendant de son amoureuse : matériellement puisque ce n’est pas lui qui passerait la moppe et préparerait de bons petits plats, et financièrement puisqu’il ne recevrait alors plus rien. Oui, oui, plus rien.

Dans la longue liste des choses auxquelles Gabriel doit s’habituer, avouons alors que l’obligation de choisir entre son amour et son portefeuille n’est pas la plus facile.