Peut-on mourir d’une étiquette ?

4 janvier 2016

Dans ces pages, on ne nomme généralement personne. On prend parfois en exemple des cas individuels mais, par l’anonymat, on leur donne une dimension collective. En n’étant personne en particulier, nos cas deviennent tout le monde. Mais l’édito d’aujourd’hui va faire exception. Parce que c’est important.

Elle s’appelait Caroline George. Elle était brillante et réservée, parlait couramment quatre langues et aimait le piano. À 24 ans, il s’est passé quelque chose dans sa tête. Un truc sérieux qui l’a fait monter presque nue sur les tables sans avoir pris aucune substance et qui l’a mise en contact direct avec Dieu, Adam et Ève et Patrick Bruel. J’ignore son diagnostic exact, mais est-ce bien important? Ce qu’il faut retenir, c’est qu’avec une médication convenable, elle a continué son bonhomme de chemin, a pris un appartement, trouvé et gardé un travail. Elle était à peine âgée de 40 ans quand, au bureau, elle a fait un malaise puis une crise de panique ou quelque chose du genre. Aux secours qui sont venus la chercher, elle s’est plainte d’un énorme mal de tête. Puis elle s’est agitée, un peu trop, on dirait. Au vu de son passé médical, on a cru à une crise délirante et on l’a isolée pour qu’elle se calme avant de voir un psychiatre. Caroline est morte d’un ACV, seule dans une chambre des urgences psychiatriques.

Personne de petite taille, Martin Henderson, lui, n’est pas mort, mais il aurait pu. Il a en tout cas gardé de sévères séquelles après qu’un soûlon l’eut lancé violemment sur la chaussée pour faire comme vu dans un show de lancer de nains. Quand on voit une étiquette, il y a ce qui est écrit dessus et ce qu’on lit entre les lignes. Sur une étiquette Made in China par exemple, on lit souvent « ça va briser dans 2 semaines » et « ça a été fabriqué dans un sous-sol insalubre », pas vrai? Eh bien, sur la tête de Martin Henderson, sur tout son corps d’ailleurs, il y avait l’étiquette Achondroplasie et son agresseur y a lu « nain – objet – drôle ». Et c’est cette étiquette implicite qui a failli tuer Martin.

Yvan Tremblay, lui, s’est ôté la vie il y a un peu plus d’un an pour ne pas avoir à aller vivre en CHSLD. Ayant une limitation motrice, il a été menacé d’expulsion de son appartement pour des histoires de sécurité et d’assurances : si le feu pognait dans la bâtisse, les secours ne pourraient pas le sortir. Je ne sais pas l’étiquette que les instances décideuses avaient collé sur le front de Monsieur Tremblay mais ce n’était certainement pas celles « d’humain – capable de faire ses choix » et de « Droit à la dignité ».

Sans compter tous ceux qui meurent dans la solitude parce qu’on leur a collé l’étiquette « vieux – plus bon à rien – rien d’intéressant à dire ».

Bref, en cette année nouvelle, l’équipe de la COPHAN vous souhaite tout plein de bonnes choses. Paix, amour, prospérité. Mais surtout, elle vous souhaite de rencontrer des personnes qui, avec douceur et humanité, vous décolleront du front toutes les étiquettes imperceptibles qui vous nuisent et vous empêchent de vivre pleinement.

Bien à vous.