Quelles leçons doivent retenir nos enfants ÉHDAA?

16 novembre 2015

Fillette a 6 ans et ¾, elle fréquente l’école de son quartier. Elle a une déficience visuelle. Concrètement, ça veut dire qu’elle apprend le braille et qu’elle utilise une visionneuse qui grossit les images. Sans cela, un gros chat ressemble à une vache et vice versa.

TES est la technicienne en éducation spécialisée qui accompagne Fillette dans son apprentissage du braille. Elle est en classe avec Fillette quelques heures par semaine depuis plusieurs mois. Elle la connaît bien. Elle a pu observer ses forces et ses difficultés.

Prof2 est un remplaçant qui a eu la chance de croiser Prof1 avant que celui-ci quitte pour deux mois. Il s’est fait briefer sur la gestion de classe, les pièges à éviter, les défis de chacun… Il sait par exemple que Fillette a une petite tendance à manipuler autrui. Elle peut notamment user de tous les moyens à sa disposition pour ne pas faire ce qui ne la tente pas. Le voilà prévenu.

On est mardi matin, c’est le temps d’évaluer la lecture des élèves. Le groupe n’est pas dans son local habituel où se trouve la visionneuse, et TES n’est pas là, ne me demandez pas pourquoi. Prof2 donne à tous la consigne : relie les images aux phrases qui correspondent.

 

– Allons Fillette, tu n’as même pas commencé.

– Chu pas capab’.

– Essaye, svp.

 

Après un moment :

– Toujours pas, Fillette?

– Chu pas capab’!!!

– Fais un effort, je sais que tu peux.

 

Fillette s’arrache les yeux sur les petits dessins sombres et imprécis censés raconter une histoire. Elle se met à pleurer bruyamment.

– Fillette!!! Tu déranges tout le monde.

– Mais je suis pas capable de voir les images!

Elle roule sa feuille en boule et la jette.

– Oh mademoiselle, ça ne marche pas de même avec moi. Voilà, je vais te mettre zéro et tu vas avoir un devoir supplémentaire.

 

Maman reçoit un courriel pour lui expliquer la situation. Sidérée, elle invite le professeur à relire le plan d’intervention de Fillette où il est écrit qu’elle a besoin d’aide humaine ou technique pour traiter les images. Elle refuse alors fermement la sanction et, le soir même, rassure sa fille en lui disant qu’elle a eu raison de se fâcher. Après une rencontre organisée en urgence, Maman obtient la levée de la punition, le droit pour sa fille de refaire le devoir une fois qu’il sera adapté et reçoit même des excuses de Prof2.

Ne nous le cachons pas, en lisant ceci, certains donneront raison au professeur. Il faut le comprendre, il n’a reçu aucune formation sur la déficience visuelle, mais des petits manipulateurs, il en a croisé plus d’un. Il en a vu, des fausses colères, des larmes feintes. Et les parents qui refusent les punitions données à leur enfant-roi, ça arrive aussi bien souvent. Mais d’autres seront heureux de voir en Fillette une future citoyenne allumée. Permettons-nous alors de féliciter ici Maman pour avoir montré par l’exemple à Fillette que, quand on a des droits, il ne faut pas hésiter à les défendre. Et il ne fait pas de doute que cet apprentissage lui servira toute sa vie. Autant que celui de la lecture.